Russie - loi fédérale sur la lutte contre l’extrémisme

Introduction à la demande

La large interprétation de la notion d’« extrémisme » par les services répressifs, l'application de plus en plus fréquente de la loi ces dernières années, les pressions que subissent de ce fait différents cercles de la société civile et les violations présumées des droits de l'homme qui ont été signalées dans ce cadre ont suscité des préoccupations et des critiques en Russie comme au sein de la communauté internationale.

Le Président de la commission de suivi de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a demandé à la Commission de Venise, le 16 décembre 2011, de rendre les avis sur, notamment, les loi fédérales sur

  1. les partis politiques
  2. les réunions, rassemblements, marches et piquets
  3. les élection des députés de la Douma d'Etat
  4. le FSB
  5. la lutte contre les activités extrémistes


La Commission de Venise a discuté ces projets d’avis les 16-17 mars 2012 à Venise et a adopté trois (1-3) avis le 17 mars 2012. Les avis sur le FSB et l'extrémisme étaient adoptés lors de la session plénière de juin.

L'avis sur la loi sur l'extrémisme
Le présent avis a un cadre limité et ne se veut pas une analyse complète et détaillée de toutes les dispositions de la loi contre l'extrémisme. Comme la fait observer la Commission de suivi dans sa demande, le principal objectif est d'évaluer, au regard des normes internationales applicables, la définition de l'« extrémisme » et les moyens dont disposent les autorités, en vertu de cette loi, pour faire face à des activités jugées « extrémistes ». Cependant, comme l’examen de ces questions ne peut faire abstraction du contexte plus général de la loi, cet avis s'appuiera également sur des dispositions connexes de la loi qui peuvent être préoccupantes sous l’angle des normes relatives aux droits de l'homme.

En préparant cet avis, la Commission de Venise a tenu compte des difficultés – dont elle est consciente – auxquelles sont confrontées les autorités russes dans leurs efforts légitimes pour lutter contre l'extrémisme et ses diverses menaces. Elle tient toutefois à souligner qu'elle attache une importance capitale à ce que toute politique ou mesure anti-extrémiste adoptée, interprétée ou mise en œuvre soit pleinement conforme aux normes internationales relatives à la protection des droits et libertés fondamentaux des individus. Elle rappelle que « l’homme, ses droits et libertés constituent la valeur suprême » et que « la reconnaissance, le respect et la protection des droits et libertés de l’homme et du citoyen sont une obligation de l'Etat » en vertu de la Constitution de la Fédération de Russie (article 2).

 

La loi contre l’extrémisme définit les comportements et activités considérés comme extrémistes et énonce les mesures administratives et pénales à appliquer aux personnes physiques et morales impliquées. Depuis son adoption, elle a été modifiée à plusieurs reprises, ce qui traduit la volonté du législateur russe de renforcer les moyens de combattre l'extrémisme. La Commission a été informée que de nouvelles modifications de la loi sont en cours d’examen à l’initiative du Conseil pour le développement de la société civile et les droits de l’homme près le Président de la Fédération de Russie. Cependant, la Commission n’a pas reçu des autorités fédérales russes de texte à ce sujet. Selon elle, ces dernières devraient saisir cette occasion pour améliorer le cadre légal russe concernant la lutte contre l’extrémisme, le mettre pleinement en conformité avec les normes internationales applicables et permettre aux autorités russes de remédier véritablement aux lacunes notées dans ce domaine à la fois dans la loi et dans la pratique.

 

Conclusions:
La Commission de Venise est consciente des difficultés auxquelles sont confrontées les autorités russes dans leurs efforts légitimes pour lutter contre l'extrémisme et ses diverses menaces. Elle rappelle que dans sa récente recommandation sur la lutte contre l’extrémisme[1], l’Assemblée parlementaire s’est dite préoccupée par la difficulté de combattre l’extrémisme et ses formes les plus récentes et elle a encouragé les Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre des mesures fermes dans ce domaine « tout en veillant au respect le plus strict des droits de l’homme et de la prééminence du droit ».

Cependant, la manière dont cet objectif est visé dans la loi contre l’extrémisme est problématique. Selon la Commission, en raison du manque de clarté et de précision de son libellé pour ce qui est de certaines « notions fondamentales » qui y sont définies - comme la définition de « extrémisme », « activités extrémistes », « organisations extrémistes » ou « matériels extrémistes » – la loi laisse une marge d’appréciation trop large pour son interprétation et son application, ce qui peut conduire à l’arbitraire.

 

La Commission de Venise estime que les comportements interdits par la loi contre l’extrémisme ne sont pas définis avec une précision suffisante pour permettre à un particulier de régler sa conduite ou les activités d’une organisation de façon à éviter de contrevenir à ce texte. Lorsque les définitions manquent de précision, un texte tel que la loi contre l’extrémisme qui concerne des droits très sensibles et qui fait courir des dangers potentiels aux personnes physiques et aux ONG peut être interprété de façon pernicieuse. Les assurances des autorités selon lesquelles les effets néfastes pourraient être évités grâce aux directives de la Cour suprême, l’interprétation donnée par l’Institut russe de la législation et du droit comparé, ou la bonne foi ne sont pas suffisants pour satisfaire aux exigences internationales dans ce domaine.

 

Les instruments spécifiques prévus par la loi pour lutter contre l'extrémisme – les avertissements écrits et les sommations – et les mesures punitives qui les accompagnent (dissolution et / ou interdiction des activités d'organisations non gouvernementales, religieuses ou autres, fermeture de médias) posent également de graves problèmes sous l’angle de la liberté d'association et de la liberté d'expression telles qu’elles sont protégées par la CEDH ; il convient de les modifier en conséquence.

 

La Commission de Venise rappelle qu’il est capital que dans un texte tel que la loi contre l’extrémisme, qui est susceptible de permettre d’imposer des restrictions sévères aux libertés fondamentales, on adopte une approche cohérente et équilibrée de façon à éviter tout arbitraire. Telle qu’elle est rédigée, la loi contre l’extrémisme pourrait donner lieu à l’imposition de restrictions disproportionnées de droits de l’homme et de libertés fondamentales consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (en particuliers les articles 6, 9, 10 et 11) et porter atteinte aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Etant donné les observations qui précèdent, la Commission de Venise recommande de remédier à cette lacune fondamentale pour chacune des définitions et des instruments déterminés par la loi, afin qu’ils soient harmonisés avec la Convention européenne des droits de l’homme.

 

La Commission de Venise reste à la disposition des autorités russes pour toute assistance complémentaire.

 

Texte de l'avis CDL-AD(2012)016


[1]           « Lutte contre l’extrémisme : réalisations, faiblesses et échecs », Recommandation 1933 (2010) de l’Assemblée parlementaire.