Hongrie - indépendance du judiciaire

I. Introduction

En réponse à une lettre du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, M. Jagland, le ministre des Affaires étrangères de la Hongrie, M. Martonyi, a demandé le 20 janvier 2012 à la Commission de Venise de  fournir, entre autres, un avis sur la législation relative au pouvoir judiciaire, à savoir la loi CLXII de 2011 sur le statut juridique et la rémunération des juges et la Loi CLXI de 2011 sur l'organisation et l'administration des tribunaux.  

Les 20-21 février 2012, une délégation de la Commission s'est rendue à Budapest. En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, cette délégation a rencontré (dans l'ordre chronologique) le ministre des Affaires étrangères, M. Martonyi, le Président de la Cour constitutionnelle, M. Paczolay, le président de l'Association des juges, M. Makai, le ministre d'État à la Justice , M. Répassy, le Président de la Curia, M. Darak, la Commission constitutionnelle, judiciaire et du règlement intérieur du Parlement, la Présidente de l'Office national de la magistrature, Mme Hando, ainsi que des ONG. L’avis prend en compte les résultats de cette visite. La Commission de Venise est reconnaissante aux autorités hongroises de l'excellente coopération dans l'organisation de cette visite et pour les explications fournies.

Le Secrétaire Général du Conseil de Conseil de l'Europe, M. Jagland, s'est rendu à Budapest le 21 mars 2012 afin de discuter de l'avis de la Commission de Venise avec les autorités hongroises.

II. Questions

L'avis doit être placé dans le contexte de l'avis sur la nouvelle Constitution de la Hongrie, adopté par la Commission de Venise lors de sa session plénière en juin 2011 (CDL-AD(2011)016).

L'avis traite d’un certain nombre de questions: les pouvoirs et les responsabilités du président de l'Office national de la magistrature (ONM, ainsi que le rôle du Conseil national de la magistrature, CNM), en particulier en ce qui concerne les nominations des juges et des présidents des tribunaux, les périodes probatoires, l’inamovibilité des juges, leur évaluation, les procédures disciplinaires et le transfert des dossiers.

L'avis se réfère également aux questions transitoires (départ à la retraite des juges et nomination du président de la Curia).

Les principales questions examinées dans l'avis sont de savoir si les pouvoirs du Président de l'Office national de la magistrature sont trop larges et s'il existe des moyens de contrôle suffisants par le Conseil national de la magistrature.

III. Conclusions

L’adoption de la Loi fondamentale et a fortiori de la loi sur le statut juridique et la rémunération des juges et de la loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux hongrois ainsi que les dispositions transitoires de la Loi fondamentale ont profondément modifié le système judiciaire.

La Commission reconnaît la nécessité d’améliorer l’efficacité du système antérieur. Si elle a relevé un certain nombre de dispositions positives dans la LOAT et la LSJRJ, elle a aussi constaté que de nombreux éléments posaient des problèmes. Même s’il est certainement possible de justifier certains de ces éléments par la tradition hongroise, la réforme dans son ensemble menace l’indépendance de la justice. Elle met en place un système sans précédent d’administration judiciaire qui n’existe dans aucun autre pays européen.  

Le principal problème vient de la concentration des pouvoirs dans les mains d’une seule personne, à savoir le président de l’ONJ. Si les Etats disposent d’une grande marge d’appréciation pour établir un système d’administration de la justice, aucun autre Etat membre du Conseil de l’Europe n’a choisi d’investir une seule personne de pouvoirs aussi étendus, dont celui de choisir les juges et les hauts magistrats. Ni la manière dont le président de l’ONJ est désigné ni la manière dont l’exercice de ses fonctions est contrôlé ne peuvent rassurer la Commission de Venise. Le président est de fait au centre des décisions relatives à la quasi-totalité des aspects de l’organisation du système judiciaire et il dispose de vastes pouvoirs discrétionnaires qui ne font, pour l’essentiel, pas l’objet d’un contrôle juridictionnel. Il est élu sans que les membres du système judiciaire ne soient consultés et n’est guère comptable envers qui que ce soit, sauf en cas de violation de la loi. La durée du mandat (neuf ans) est aussi une source de préoccupation.

Les principaux points devant être revus sont les suivants :

·       La réglementation d’un certain nombre de questions organisationnelles au niveau des lois organiques,

·       l’élection du président de l’ONJ pour un mandat de neuf ans qui peut être renouvelé indéfiniment par une majorité de blocage d’un tiers des députés,

·       la très longue liste des compétences du président de l’ONJ qui ne font l’objet ni d’un veto du CNJ ni d’un contrôle juridictionnel,

·       l’attribution des compétences du président de l’ONJ à une seule personne sans que ne soit prévu de contrôle suffisant,

·       l’absence d’obligation du président de l’ONJ de motiver toutes les décisions,

·       la composition du CNJ qui ne comprend que des juges à l’exclusion d’autres acteurs (avocats, société civile),

·       la limitation de la plupart des compétences du CNJ à de simples recommandations et avis,

·       l’impossibilité du CNJ d’opposer son veto à la nomination des présidents de juridiction par le président de l’ONJ,

·       le système de supervision des juges par les présidents de tribunaux qui doivent rendre compte aux juridictions de degré supérieur, jusqu’à la Curia, des décisions qui s’écartent de la jurisprudence antérieure (procédure d’uniformisation),

·       la forte influence du président de l’ONJ sur la nomination des présidents de tribunaux et d’autres hauts magistrats,

·       la possibilité pour le président de l’ONJ d’engager la procédure d’uniformisation, ce qui est contraire à son rôle administratif,

·       les longues périodes probatoires imposées aux juges et en particulier le fait qu’elles peuvent se répéter,

·       les possibilités de transférer des juges contre leur gré et les lourdes conséquences d’un refus (« cessation d’activité » et destitution automatique),

·       l’absence de garanties suffisantes de procès équitable lors des procédures d’évaluation et des procédures disciplinaires,

·       le transfert d’affaires par le président de l’ONJ à un autre tribunal et en particulier l’absence de critères objectifs pour choisir les affaires à transférer et le tribunal auquel les confier,

·       les règles relatives au départ anticipé à la retraite des juges.

Compte tenu de ces points et des autres problèmes évoqués dans le présent avis, la Commission conclut que les éléments essentiels de la réforme, s’ils demeurent inchangés, non seulement sont contraires aux normes européennes d’organisation du pouvoir judiciaire et en particulier à son indépendance, mais posent aussi des problèmes en ce qui concerne le droit à un procès équitable prévu à l’article 6 de la CEDH. Le présent avis tente d’indiquer comment ces problèmes pourraient être surmontés par des amendements aux nouvelles normes adoptées.

Dans son avis sur la nouvelle Constitution, la Commission de Venise espérait que ses recommandations seraient prises en compte par une modification de la Constitution le cas échéant[1]. La Commission reste d’avis que les fondements de l’indépendance du système judiciaire, y compris l’existence de contre-pouvoirs, doivent être réglementés dans la Constitution proprement dite et qu’il faudrait modifier la Loi fondamentale en conséquence.

A la suite du projet d’avis, la Commission de Venise a appris que le gouvernement entendait amender les lois relatives au système judiciaire, ce dont il faut se féliciter (www.venice.coe.int/docs/2012/CDL(2012)104-e.pdf). Elle n’a pas eu la possibilité d’examiner ces propositions, mais demeure à la disposition des autorités hongroises, si elles le souhaitent.

Texte de l'avis CDL-AD(2012)001


[1]. Paragraphe 150.