L’ex République yougoslave de Macédoine -  la « dite » loi sur la lustration

Contexte
Par une lettre du 7 septembre 2012, le Président de la Cour constitutionnelle macédonienne a demandé à la Commission de Venise de rendre un avis amicus curiae au sujet d’une requête pendante devant la Cour, requête par laquelle était contestée la constitutionnalité de la Loi relative aux conditions limitant l’exercice de fonctions publiques, à l’accès aux documents et à la publication des noms de ceux qui ont collaboré avec les organes de sécurité de l’Etat.

Les normes européennes en matière de lustration découlent de trois sources principales :  

-       La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ;

-          La jurisprudence des cours constitutionnelles nationales ;

-       Les résolutions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à savoir la Résolution 1096 (1996) sur les mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes et la Résolution 1481(2006) sur la nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires. La Résolution 1096 (1996) de l’APCE renvoie aux « Principes directeurs à respecter pour que les lois de lustration et les mesures administratives analogues soient conformes aux exigences d’un Etat de droit » (dénommés ci-après : « les Principes directeurs ») en tant que texte de référence.

L’avis amicus curiae rendu par la Commission de Venise sur la Loi de lustration albanaise[1] s’appuie sur ces normes et les complète.

L’essence de ces normes peut se résumer à quatre critères clefs relatifs aux procédures de lustration, à savoir :

           établissement de la culpabilité dans chaque cas individuel ;

           garantie du droit de se défendre, de la présomption d’innocence et du droit d’interjeter appel devant un tribunal ;

           respect des différentes fonctions et objectifs de la lustration, à savoir la protection de la nouvelle démocratie émergente et de la législation pénale, notamment l’application de peines aux personnes présumées coupables ;

           respect de délais stricts concernant la durée d’application de la Loi et la période couverte par celle-ci.

 

Conclusions

L’objet du présent mémoire amicus curiae, établi à la demande de la Cour constitutionnelle macédonienne, n’est pas  d’évaluer la constitutionnalité de la Loi de lustration mais de donner à la Cour des éléments concernant la compatibilité de cette Loi avec la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que des éléments de droit constitutionnel comparé destinés à aider la Cour à examiner l’affaire concernée. Pour ce qui est de l’interprétation contraignante de la Constitution macédonienne, le dernier mot revient à la Cour constitutionnelle. La Commission de Venise souligne qu’une telle interprétation est contraignante pour toutes les institutions nationales relevant des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif, qui sont tenues de la respecter et d’y adhérer.

La Commission de Venise a analysé la Loi de lustration sous quatre angles différents : a) champ d’application temporel ; b) champ d’application personnel; c) garanties procédurales accordées aux personnes auxquelles les mesures de lustration sont appliquées ; d) publication des noms des personnes considérées comme ayant collaboré avec le régime totalitaire.

Elle est parvenue aux principales conclusions ci-après:

a)       L’adoption de mesures de lustration très longtemps après l’engagement d’un processus de transition démocratique dans un pays donné est susceptible de semer le doute quant au véritable objectif de ces mesures. Il importe que la revanche ne prenne pas le pas sur la protection de la démocratie. Il faut donc qu’elle soit justifiée par des raisons convaincantes.

L’objectif de la lustration étant d’empêcher que des personnes ayant une attitude antidémocratique accèdent à des fonctions, et compte tenu du fait que l’éventualité de changements positifs dans l’attitude et le comportement d’une personne ne doit pas être sous-estimée, l’application de mesures de lustration à des actes remontant de 21 à 68 ans en arrière (ou même de 31 à 78 ans quand la Loi de lustration cessera de s’appliquer), peut – le cas échéant – être justifié si des crimes de la plus grande gravité sont en cause, par exemple en cas de violation massive et répétée de droits fondamentaux donnant également lieu à des peines privatives de liberté en application du droit pénal.

L’application de mesures de lustration à raison d’actes commis après la fin du régime totalitaire ne peut se justifier qu’au regard de conditions historiques et politiques exceptionnelles et non dans un pays où un cadre institutionnel démocratique existe de longue date et où l’ordre constitutionnel démocratique devrait se défendre lui-même au moyen de la mise en œuvre de l’état de droit et des garanties de protection des droits de l’homme. Des motifs politiques, idéologiques ou d’appartenance à un parti ne devraient pas être utilisés pour justifier l’application de mesures de lustration dans la mesure où la stigmatisation et la discrimination d’opposants politiques ne sont pas des instruments acceptables de combat politique dans un Etat régi par le principe de la primauté du droit.

Pour ce qui est de la durée des mesures de lustration, celle-ci devrait dépendre, d’une part, des progrès accomplis dans la mise en place d’un Etat démocratique régi par le principe de la primauté du droit et, d’autre part, de la capacité de la personne objet de la lustration à changer d’attitude et de pratiques. Chaque mesure de lustration devrait avoir une durée fixe de façon à éviter tout traitement discriminatoire entre des personnes se trouvant dans la même situation en fonction de la date d’adoption de la mesure.

b)      L’application de mesures de lustration à des fonctions qui relèvent d’organisations privées ou semi-privées outrepasse l’objectif de la lustration qui est d’empêcher des personnes d’exercer des fonctions gouvernementales quand il se révèle impossible de faire confiance aux intéressés pour exercer celles-ci dans le respect des principes démocratiques.

Le lien litigieux avec le régime totalitaire doit être défini de manière très précise.

c)       L’absence de participation de la personne concernée à la procédure devant la Commission de vérification des faits est contraire aux droits de défense de l’intéressé, notamment au droit à l’égalité des armes. La procédure devant la Commission de vérification et la procédure d’appel doivent être régies de manière très détaillée pour que les principes de l’état de droit et du droit à une procédure régulière soient respectés.

d)      Les noms de ceux qui sont considérés comme étant des collaborateurs ne devraient être publiés qu’une fois la décision définitive rendue par le tribunal, c’est-à-dire uniquement après que la collaboration soit irrévocablement établie, pour que les effets négatifs d’une telle publication sur la réputation des intéressés puissent être considérés comme étant une mesure proportionnée dans une société démocratique.

 Texte de l’avis CDL-AD(2012)028


[1] CDL-AD(2009)044.