Commission de Venise - Observatoire des situations d'urgence

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Avis de non-responsabilité: ces informations ont été recueillies par le Secrétariat de la Commission de Venise sur la base des contributions des membres de la Commission de Venise, et complétées par des informations disponibles à partir de diverses sources ouvertes (articles académiques, blogs juridiques, sites Web d'information officiels, etc.) .

Tous les efforts ont été faits pour fournir des informations exactes et à jour. Pour plus de détails, veuillez visiter notre page sur le COVID-19 et les mesures d'urgence prises par les États membres: https://www.venice.coe.int/WebForms/pages/?p=02_EmergencyPowersObservatory&lang=FR


  Tunisie

1.     La constitution de votre pays comporte-t-elle des dispositions spécifiques applicables aux situations d'urgence (guerre et/ou autre urgence publique menaçant la vie de la nation)?

La Constitution de 2014 prévoit un «état d'exception».

L’article 80 de la Constitution dispose : « En cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du Chef du Gouvernement, du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le Président de la Cour constitutionnelle. Il annonce ces mesures dans un message au peuple. Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de session permanente. Dans cette situation, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le Gouvernement. Trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à tout moment par la suite, la Cour constitutionnelle peut être saisie, à la demande du Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de l'état d'exception. La Cour prononce sa décision en audience publique dans un délai n’excédant pas quinze jours. Ces mesures prennent fin dès la cessation de leurs motifs. Le Président de la République adresse à ce sujet un message au peuple ».

L’article 77 de la constitution dispose que le président de la République peut : « prendre les mesures qu’impose l’état d’exception et les proclamer conformément à l’article 80 ».

2.     Existe-t-il dans votre pays des lois organiques/constitutionnelles ou ordinaires régissant l'état d'urgence ?

Le décret n° 78-50 du 26 Janvier 1978 règlementant l’état d’urgence, bien que pris sous l’égide de l’ancienne constitution du 1er Juin 1959, demeure en vigueur - voir ici

3. Existe-t-il dans votre pays des lois organiques/constitutionnelles ou ordinaires sur les risques sanitaires ou autres situations d'urgence?

Loi n° 92-71 du 27 Juillet 1992 relative aux maladies transmissibles, modifiée et complétée par la loi n° 27-12 du 12 Février 27.
Décret gouvernemental n° 152 du 13 Mars 2020.

Le décret confère des pouvoirs étendus au ministre de l'Intérieur et aux gouverneurs tandis que l'État d'exception prévu à l'article 80 de la Constitution de 2014 donne plein pouvoir au président.

4. L'état d'urgence a-t-il été déclaré dans votre pays en raison de la pandémie Covid-19 ? Par quelle autorité et pour combien de temps?

Le pays est en état d’urgence quasi-permanent depuis 2015.

Le président de la République Mr Kais Saied a proclamé l’état d’urgence sur tout le territoire pour la durée d’un mois à partir du 1er Janvier 2020.

L’état d’urgence a été reconduit à plusieurs reprises ; le dernier en date a pris effet à partir du 29 Mai 2020 pour une durée de 6 mois.

Décret présidentiel n° 2020-24 du 18 Mars 2020 proclamant le couvre-feu sur tout le territoire de la République -voir ici

Décret présidentiel n° 2020-28 du 22 Mars 2020 limitant la circulation des personnes et les rassemblements hors horaires du couvre-feu.

5. La déclaration pouvait-elle être, et a-t-elle été soumise à l'approbation du Parlement (si elle a été prise par l'exécutif)?

Les deux décrets ont été pris par le Président de la république lors de la réunion du Conseil de sécurité national qu’il préside, et en présence de ses membres de droit, et notamment, le président de l’assemblée des représentants du peuple, le chef du gouvernement, le ministre de la justice, le ministre de l’intérieur, le ministre de la défense nationale.

L’article 80 de la constitution dispose que les mesures prises par le chef de l’Etat dans le cadre de l’état d’exception interviennent après consultation du chef du gouvernement, du président de l’assemblée des représentants du peuple et après avoir informé le président de la cour constitutionnelle.

Sauf que la cour constitutionnelle n’est toujours pas constituée, et on se trouve dans le cas des formalités impossibles.

6. La déclaration pouvait-elle être, et a-t-elle été soumise à un contrôle judiciaire ? A-t-elle été jugée justiciable?

L’article 3 de la loi organique n° 2002-11 du 4 Février 2002, modifiant et complétant la loi n° 72-40 du 1er Juin 1972 relative au Tribunal Administratif dispose dans son article 3 (nouveau) que : « Le Tribunal Administratif est compétent pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation des actes pris en matière administrative ».

Ce texte, par son caractère général englobe tous les actes administratifs sur la base du critère matériel. Néanmoins, la doctrine dominante en Tunisie classe certains actes, dont la proclamation de l’état d’urgence dans la catégorie des actes de gouvernement, non susceptibles de recours pour excès de pouvoir. Toutefois tous les actes administratifs pris ultérieurement sur la base du décret présidentiel seront soumis au contrôle juridictionnel du juge administratif.

7. Des dérogations aux droits de l'homme sont-elles possibles dans des situations d'urgence en vertu du droit national? Quelles sont les circonstances et les critères requis pour déclencher une exception? Une dérogation a-t-elle été faite en vertu de l'article 15 de la CEDH ou de tout autre instrument international? Le droit national interdit-il la dérogation à certains droits, même en situation d’urgence? Existe-t-il une exigence explicite selon laquelle les dérogations doivent être proportionnées, c'est-à-dire strictement limitées, quant à leur durée, leurs circonstances et leur portée, aux exigences de la situation?

L’article 80 de la Constitution conditionne le recours aux mesures imposées par l’état d’exception à l’existence d’un péril imminent, entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Ensuite, ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

Trente jours, après l’entrée en vigueur de ces mesures, la cour constitutionnelle peut être saisie par le président de l’assemblée ou 30 députés, pour statuer sur le maintien de l’état d’exception.

Aussi, ces mesures prennent fin, dès la cessation de leurs motifs. L’article 49 de la Constitution dispose que : « Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications. Les instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte.

Aucune révision ne peut porter atteinte aux acquis en matière de droits de l’Homme et de libertés garantis par la présente Constitution.

D’autre part les articles 4, 5, 6, 7 et 8 du décret n° 78-50 du 26 Janvier 1978, réglementant l’état d’urgence donne de larges prérogatives au ministre de l’intérieur et aux gouverneurs pour limiter et aménager les libertés publiques et individuelles.

8. Quels droits de l'homme ont été limités/dérogés dans votre pays, dans le contexte de la pandémie Covid-19?

D’abord la Constitution tunisienne (article 70, paragraphe 2) dispose que : «L’Assemblée des représentants du peuple peut, au trois-cinquième de ses membres, habiliter par une loi, le Chef du Gouvernement, pour une période ne dépassant pas deux mois et, en vue d’un objectif déterminé, à prendre des décrets-lois, dans le domaine relevant de la loi. À l’expiration de cette période, ces décrets-lois sont soumis à l’approbation de l’Assemblée ».

En effet la loi n° 2020-19 du 12 Avril 2020, habilitant le chef du gouvernement à prendre des décrets lois dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Covid 19. Cela avait permis au gouvernement de prendre une série de décrets-lois pour faire face au Covid 19, notamment : Décret-loi n° 2020-2 du 14 Avril 2020, portant suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du code du travail, Dècret-loi n° 2020-3 du 14 Avril 202, portant détermination de mesures sociales exceptionnelles et provisoires, Dècret-loi n° 2020-7 du 17 Avril 2020 relative à la fixation de dispositions dérogatoires concernant les agents publics et le fonctionnement des établissements publics, des entreprises publiques et des services administratifs, Dècret-loi n° 2020-8 du 17 Avril 2020 relatif à la suspension des procédures et délais, Dècret-loi n° 2020-9 du 17 Avril 2020 relatif à la répression de la violation du couvre-feu, de la limitation de circulation, du confinement total et des mesures prises à l’égard des personnes atteintes ou suspectées d’être atteintes par la Covid 19, Dècret-loi n° 2020-12 du 27 Avril 2020, complétant le code de procédure pénale (Procès à distance).

Un décret-loi a été adopté en conseil des ministres, qui introduit l’utilisation du bracelet électronique par le juge pénal comme mesure préventive se substituant, dans certains cas à la détention provisoire, et comme peine alternative aux sanctions privatives de liberté.

9. Si l'état d'urgence n'a pas été déclaré, l'exécutif a-t-il bénéficié de pouvoirs supplémentaires en vertu de la législation ordinaire sur les risques sanitaires ou d'une autre urgence publique? A-t-il décidé d'imposer des restrictions exceptionnelles aux droits de l'homme sur la base de ces lois?

L’état d’urgence a été déclaré par le President (voir Q4). Mais le gouvernement a aussi bénéficié d’une loi d’habilitation pour intervenir dans le domaine législatif.

10. Est-ce que la possibilité pour l’exécutif de déroger à la répartition normale des pouvoirs en situation d’urgence est limitée quant à sa durée, ses circonstances et sa portée?

Oui, en vertu d’une loi organique no 2020-19 du 12 avril 2020, autorisant le chef du gouvernement à intervenir dans le domaine législatif. Ce pouvoir est limité à deux mois (durée) et destiné à traiter de COVID 19 (portée).

11. Les sessions du Parlement ont-elles été suspendues pendant l’épidémie Covid-19? Si oui, pour combien de temps? Des règles spécifiques sur le fonctionnement du Parlement pendant l'urgence ont-elles été adoptées? Par le parlement ou par l'exécutif?

Les travaux de l’assemblée, n’ont pas été suspendus. Mais le bureau de l’assemblée a introduit le vote à distance et la limitation du nombre de députés présents lors des travaux de la plénière et des commissions. Le bureau lui-même s’est réuni à maintes reprises à distance.

12. Les sessions judiciaires de la Cour constitutionnelle ou d'une juridiction équivalente et/ou d'autres tribunaux ont-elles été suspendues pendant l’épidémie Covid-19? Si oui, pour combien de temps ? Des règles spécifiques sur leur fonctionnement pendant l'état d'urgence ont-elles été adoptées ? Par le parlement ou par l'exécutif ?

La cour constitutionnelle n’est toujours pas instituée mais l’instance provisoire chargée du controle de la constitutionnalité des lois n’a pas cessé son activité.

13. La législation sur l'état d'urgence ou sur la situation d'urgence a-t-elle été modifiée ou adoptée pour faire face à la pandémie de Covid-19?

Les textes en vigueur régissant l’état d’urgence n’ont pas été modifiés. Quand meme, une loi organique no 2020-19 a ete adoptee le 12 avril 2020, autorisant le chef du gouvernement à intervenir dans le domaine législatif.

14. Cette législation supplémentaire a-t-elle fait l'objet d'un contrôle judiciaire?

No

15. L'état d'urgence a-t-il été prolongé ? Pour combien de temps ? La prolongation a-t-elle été soumise à un contrôle parlementaire ? A-t-elle été soumise à un contrôle judiciaire?

Depuis la révolution du 14 Janvier 2011, la Tunisie a vécu une longue période sous l’égide de l’état d’urgence. La situation découlant du Covid 19, s’est greffée dessus et la proclamation de l’état d’urgence s’est poursuivie sur la base du décret 78-50 du 26 Janvier 1978.

16. Quels sont les recours juridiques disponibles contre les mesures générales et/ou individuelles prises dans le cadre de l'état d'urgence? Quels sont les recours juridiques contre les mesures prises en application de la législation ordinaire sur les crises sanitaires ? Une modification des recours juridiques disponibles a-t-elle été décidée en raison de l'état d'urgence ou provoquée par celui-ci? Des mesures d'urgence ont-elles été invalidées et pour quelles raisons (compétence, procédure, manque de proportionnalité, etc.).

La suspension de l’activité des tribunaux a été l’objet de conflit de compétence entre le ministère de la justice et le Conseil supérieur de la magistrature.

Un recours devant le juge administratif a été présenté par un avocat contre la décision du CSM du 28 Avril 2020 et celle de la ministre de la justice en date du 3 Mai 2020, relatives à l’organisation de l’activité des tribunaux pendant la pandémie.

17. Si des élections parlementaires et/ou, le cas échéant, présidentielles étaient prévues pendant l'urgence de Covid-19 : ont-elles eu lieu? Des dispositions particulières ont-elles été prises et, si oui, lesquelles ? A-t-il été nécessaire de modifier la législation électorale? Quel a été le taux de participation? Comment a-t-elle été comparée à celle des élections précédentes? Si elles ont été reportées, quelle était la base constitutionnelle ou légale pour le faire? Qui a pris la décision? Pour combien de temps ont-elles été reportées? Cette décision a-t-elle été soumise à un contrôle parlementaire ou judiciaire ?

Pas d’élections programmées pendant cette période.

18. Mêmes questions que sous 17, mutatis mutandis, en ce qui concerne les élections locales et les référendums.

Pas d’élections programmées pendant cette période.